Types de démence : vasculaire, frontotemporale et à corps de Lewy
déc., 19 2025
Qu’est-ce qu’une démence ?
La démence n’est pas une maladie unique. C’est un terme général qui désigne une baisse progressive des fonctions cognitives - mémoire, langage, raisonnement, prise de décision - assez grave pour perturber la vie quotidienne. Beaucoup pensent que la démence, c’est simplement oublier où on a mis ses clés. En réalité, c’est bien plus profond : c’est perdre la capacité de se reconnaître dans un miroir, de suivre une conversation, ou même de reconnaître ses propres enfants. Trois types de démence, souvent confondus avec la maladie d’Alzheimer, représentent ensemble près de 40 % des cas dans le monde : la démence vasculaire, la démence frontotemporale et la démence à corps de Lewy.
Démence vasculaire : quand le cerveau manque d’oxygène
La démence vasculaire est la deuxième cause de démence après la maladie d’Alzheimer. Elle touche environ 10 % des personnes atteintes de démence, soit plus de 5 millions de personnes dans le monde. Contrairement à ce que beaucoup croient, elle n’est pas causée par la mort des neurones à cause de protéines anormales, mais par une interruption du flux sanguin vers le cerveau. Cela peut arriver à cause d’un accident vasculaire cérébral (AVC), d’infarctus multiples, ou simplement d’une mauvaise santé des vaisseaux sanguins à cause de l’hypertension, du diabète ou du cholestérol élevé.
Les symptômes apparaissent souvent de façon soudaine, comme une chute en escalier : une période de stabilité, puis un déclin brutal après un nouvel épisode vasculaire. Une personne peut soudainement ne plus comprendre les instructions simples, perdre la capacité de planifier une tâche, ou faire des erreurs inhabituelles dans ses gestes du quotidien. Des signes physiques comme une marche hésitante, une faiblesse d’un côté du corps, ou des problèmes d’équilibre sont fréquents - ce qui n’est pas typique de la maladie d’Alzheimer au début.
Le diagnostic repose sur une IRM du cerveau, qui montre des lésions vasculaires : des zones de tissu mort (infarctus) ou des changements dans les petites artères (hyperintensités de la substance blanche). Le traitement n’est pas de guérir la démence, mais d’empêcher qu’elle empire. Contrôler la pression artérielle (cible <130/80 mmHg), les taux de sucre dans le sang, et prescrire de l’aspirine ou d’autres antiplaquettaires peut réduire le risque de nouveaux accidents vasculaires de jusqu’à 20 %. La prévention est ici la meilleure stratégie : une bonne hygiène de vie, pas de tabac, et une activité physique régulière font plus que n’importe quel médicament.
Démence frontotemporale : quand la personnalité change avant la mémoire
La démence frontotemporale (FTD) est la forme de démence la plus fréquente chez les personnes de moins de 60 ans. Alors que la maladie d’Alzheimer touche surtout les seniors, la FTD frappe souvent entre 45 et 65 ans - des gens encore actifs, parents, ou en pleine carrière. Ce qui la rend si difficile à détecter, c’est que la mémoire reste souvent intacte au début. Ce qui change, c’est la personne elle-même.
Une mère peut devenir indifférente à ses enfants, un père peut faire des achats compulsifs, un collègue peut perdre toute inhibition sociale, dire des choses inappropriées, ou soudainement ne plus se laver. Ce n’est pas de la mauvaise éducation : c’est une dégénérescence des lobes frontal et temporal du cerveau, les zones qui contrôlent le jugement, l’empathie et le contrôle des émotions. Des protéines anormales, comme la tau ou la TDP-43, s’accumulent et tuent les neurones. Parfois, c’est le langage qui est touché : la personne ne trouve plus les mots, ou ne comprend plus ce qu’on lui dit, même si elle sait encore se souvenir de son anniversaire ou de son numéro de téléphone.
Environ la moitié des cas de FTD sont d’abord diagnostiqués comme une dépression, un trouble bipolaire, ou même une schizophrénie. Les médecins ne pensent pas tout de suite à la démence chez un patient de 55 ans qui devient agressif ou apathique. Le diagnostic nécessite une IRM pour voir l’atrophie des lobes frontaux, une évaluation neuropsychologique qui teste la planification et l’inhibition (et non la mémoire), et parfois une TEP pour mesurer l’activité cérébrale. Il n’existe pas encore de traitement qui arrête la progression. Mais des antidépresseurs de type ISRS peuvent aider à calmer les comportements impulsifs ou agressifs. La thérapie du langage est essentielle pour ceux qui perdent la parole. Le plus grand défi ? Aider les familles à comprendre que ce n’est pas une question de volonté - c’est une maladie du cerveau.
Démence à corps de Lewy : les hallucinations, les fluctuations et les mouvements
La démence à corps de Lewy (LBD) est la troisième cause la plus fréquente de démence, après Alzheimer et la démence vasculaire. Elle touche environ 1,4 million d’Américains, et probablement autant en Europe. Ce qui la rend unique, c’est qu’elle combine des symptômes de démence, de Parkinson et de troubles du sommeil. Les corps de Lewy sont des dépôts anormaux d’une protéine appelée alpha-synucléine, qui envahissent les zones du cerveau qui contrôlent la pensée, le mouvement et le sommeil.
Les trois signes les plus caractéristiques sont : des fluctuations cognitives (un jour la personne est claire, le lendemain elle est confuse), des hallucinations visuelles récurrentes (voir des personnes, des animaux, ou des objets qui n’existent pas), et un trouble du sommeil paradoxal (le patient crie, bouge, ou frappe pendant son sommeil, comme s’il revivait ses rêves). Beaucoup de patients développent aussi des symptômes parkinsoniens : raideur des membres, mouvements lents, expression faciale figée, ou une marche en petits pas.
Le plus dangereux ? Les médicaments. Les antipsychotiques, souvent prescrits pour calmer les hallucinations chez les personnes atteintes d’Alzheimer, peuvent provoquer chez les patients à corps de Lewy des réactions extrêmement graves : paralysie, coma, ou même le syndrome malin des neuroleptiques, potentiellement mortel. Jusqu’à 75 % des cas de LBD sont d’abord diagnostiqués comme de la maladie d’Alzheimer - et c’est une erreur qui peut être fatale. Le diagnostic repose sur la présence de deux des quatre symptômes principaux : fluctuations cognitives, hallucinations visuelles, trouble du sommeil paradoxal, ou parkinsonisme. Une imagerie par scintigraphie (DaTscan) peut confirmer la perte de neurones dopaminergiques.
Le traitement repose sur les inhibiteurs de la cholinestérase, comme le rivastigmine, qui peuvent améliorer la concentration et réduire les hallucinations. Les médicaments contre la maladie de Parkinson sont utilisés avec prudence, car ils peuvent aggraver les hallucinations. La meilleure approche est l’éducation : apprendre aux familles que les hallucinations ne sont pas toujours effrayantes pour le patient, et que les mouvements soudains pendant le sommeil ne sont pas des cauchemars, mais un symptôme médical. Avec un bon suivi, les hospitalisations peuvent baisser de 30 %.
Comment les distinguer ? Un tableau comparatif
| Caractéristique | Démence vasculaire | Démence frontotemporale (FTD) | Démence à corps de Lewy (LBD) |
|---|---|---|---|
| Âge typique d’apparition | 65 ans et plus | 45 à 65 ans | 50 ans et plus |
| Problème principal | Manque d’oxygène au cerveau | Dégénérescence des lobes frontal/temporal | Dépôts de protéine alpha-synucléine |
| Symptômes précoces | Difficultés de planification, marche instable, AVC | Changements de personnalité, perte d’inhibition, troubles du langage | Fluctuations cognitives, hallucinations visuelles, troubles du sommeil |
| Mémoire affectée tôt ? | Non, souvent plus tard | Non, souvent préservée au début | Non, moins affectée qu’en Alzheimer |
| Diagnostic clé | IRM avec lésions vasculaires | IRM avec atrophie frontale/temporale | Présence de 2/4 symptômes majeurs + DaTscan |
| Traitement principal | Contrôle de l’hypertension, du diabète, antiplaquettaires | ISRS pour les comportements, thérapie du langage | Inhibiteurs de la cholinestérase (rivastigmine), éviter les antipsychotiques |
Pourquoi le bon diagnostic est vital
Confondre ces trois démences avec la maladie d’Alzheimer n’est pas une erreur mineure. C’est une erreur qui peut tuer. Prescrire un antipsychotique à une personne atteinte de démence à corps de Lewy peut la plonger dans un coma. Donner un traitement pour Alzheimer à quelqu’un qui a une démence frontotemporale ne change rien, mais fait perdre du temps précieux. Et ne pas traiter l’hypertension chez une personne avec démence vasculaire, c’est la condamner à une détérioration rapide.
Les médecins ne sont pas des devins. Il faut des examens, des imageries, des tests neurologiques, et surtout, une observation patiente. Un proche qui dit : "Elle ne reconnaît plus ses enfants, mais elle se souvient de son enfance" - c’est un indice pour la FTD. Quelqu’un qui voit des chats sur le mur et qui a des tremblements - c’est peut-être la LBD. Une personne qui a eu un AVC et qui soudainement ne peut plus faire ses comptes - c’est probablement la vasculaire.
La recherche avance lentement. Alors que la maladie d’Alzheimer reçoit des milliards de dollars de financement, la FTD et la LBD ensemble en reçoivent moins de 50 millions. Pourtant, elles touchent autant de monde. Les nouveaux biomarqueurs sanguins (comme la GFAP pour les lésions vasculaires) ou les traitements expérimentaux ciblant la protéine alpha-synucléine pour la LBD ouvrent de l’espoir. Mais pour l’instant, le meilleur outil reste la connaissance : savoir ce qu’on cherche, et ne pas se contenter d’un diagnostic rapide.
Que faire si vous soupçonnez une démence ?
- Ne laissez pas passer les signes. Un changement de comportement, une perte d’initiative, des hallucinations, ou des chutes répétées ne sont pas "juste de la vieillesse".
- Consultez un neurologue ou un spécialiste de la mémoire. Un généraliste ne peut pas toujours faire le bon diagnostic.
- Apportez un proche. Les patients ne voient pas toujours leurs propres changements. Un témoin est essentiel.
- Préparez une liste de symptômes : quand ça a commencé, à quelle fréquence, ce qui aggrave ou améliore.
- Ne demandez pas de médicaments. Demandez un diagnostic précis. La bonne réponse n’est pas toujours un comprimé - parfois, c’est une bonne explication, une bonne prise en charge, et un bon accompagnement.
Un mot sur les proches
Prendre soin d’une personne atteinte de démence n’est pas une tâche facile. Avec la FTD, vous perdez la personne que vous aimiez, même si son corps est encore là. Avec la LBD, vous vivez avec des hallucinations, des nuits sans sommeil, et la peur d’un médicament mal pris. Avec la vasculaire, vous voyez un déclin en sauts, comme un horloge qui tombe en panne une fois par mois.
Vous n’êtes pas seul. Des groupes d’entraide existent, en France comme ailleurs. Parler, partager, apprendre - c’est la première forme de traitement. La démence n’est pas une fin. C’est un chemin, difficile, mais qui peut être vécu avec dignité, si on le comprend bien.
La démence à corps de Lewy est-elle la même chose que la maladie de Parkinson ?
Non, mais elles sont étroitement liées. La démence à corps de Lewy (LBD) regroupe deux conditions : la démence avec corps de Lewy (DLB) et la démence dans la maladie de Parkinson (PDD). La différence réside dans l’ordre d’apparition des symptômes. Si les troubles cognitifs apparaissent avant ou dans l’année suivant les symptômes moteurs (tremblements, raideur), on parle de DLB. Si les symptômes moteurs sont présents depuis plus d’un an avant l’apparition de la démence, on parle de PDD. Les deux partagent les mêmes lésions cérébrales (corps de Lewy), mais leur évolution et leur diagnostic diffèrent.
La démence frontotemporale peut-elle être confondue avec un trouble psychiatrique ?
Oui, très fréquemment. Jusqu’à 50 % des cas de FTD sont d’abord diagnostiqués comme une dépression, un trouble bipolaire ou une schizophrénie. Cela arrive parce que les premiers symptômes - changements de personnalité, perte d’inhibition, comportements impulsifs ou apathie - ressemblent à des troubles mentaux. Mais contrairement à la dépression, la mémoire et la capacité de raisonnement restent souvent intactes. Un neurologue ou un spécialiste de la mémoire doit évaluer les changements comportementaux avec des tests spécifiques et une IRM pour confirmer l’atrophie des lobes frontaux.
Existe-t-il un traitement pour guérir ces démences ?
Non, aucune de ces trois démences ne peut être guérie pour le moment. Mais elles peuvent être gérées. Pour la démence vasculaire, contrôler l’hypertension et le diabète ralentit la progression. Pour la FTD, les antidépresseurs et la thérapie du langage améliorent la qualité de vie. Pour la LBD, les inhibiteurs de la cholinestérase (comme le rivastigmine) aident à stabiliser la cognition, et éviter les antipsychotiques est crucial. L’objectif n’est pas de guérir, mais de ralentir, de soulager, et de préserver la dignité.
Pourquoi les antipsychotiques sont-ils dangereux dans la démence à corps de Lewy ?
Les personnes atteintes de LBD ont une extrême sensibilité aux antipsychotiques traditionnels. Ces médicaments bloquent la dopamine, une substance essentielle pour le mouvement. Chez elles, cela peut provoquer une paralysie soudaine, une rigidité extrême, une fièvre élevée, ou même un syndrome malin des neuroleptiques - une urgence médicale potentiellement mortelle. Même les antipsychotiques dits "atypiques" peuvent être dangereux. La règle est simple : éviter tout antipsychotique sauf en cas d’urgence absolue, et toujours avec surveillance médicale stricte.
Peut-on prévenir la démence vasculaire ?
Oui, c’est l’une des rares formes de démence qu’on peut vraiment prévenir. Contrôler l’hypertension (cible <130/80 mmHg), le diabète, le cholestérol, arrêter de fumer, faire de l’exercice régulièrement et manger sainement réduit le risque de démence vasculaire de jusqu’à 20 %. L’étude SPRINT-MIND a montré que réduire la pression artérielle à un niveau plus strict (moins de 120 mmHg) diminue le risque de déclin cognitif de 19 %. La prévention est ici un acte médical concret, pas une suggestion vague.
Guillaume Franssen
décembre 19, 2025 AT 22:10